« Mes objets sont basés sur des ustensiles du quotidien, mais ils occupent l’espace et agissent autrement. Qu’a-t-on vraiment sous les yeux ?
À partir de quel moment le malaise s’empare-t-il du spectateur ou de la spectatrice ? explique Audrey Large à propos de son travail. Cette tension entre l’humain et l’objet, c’est mon terrain de jeu. »
« Cette tension entre l’humain et l’objet, c’est mon terrain de jeu. » – Audrey Large, artiste et designer
Un Art nouveau 3.0
Les objets conçus par Audrey Large font penser à des meubles et accessoires traditionnels. Mais ils ne sont pas vraiment fonctionnels. Il ne s’agit pas de tables pouvant accueillir des repas conviviaux, ni de vases réellement destinés à contenir des fleurs. Le côté shiny et néobaroque empêche parfois de voir quelle est la fonction de ces objets. Comme s’ils provenaient d’une réalité parallèle, d’un no man’s land entre online et offline. « Comment démêler le vrai du faux ? Cette question millénaire revêt une toute nouvelle signification à l’ère du numérique. Après tout, ce qui est numérique existe aussi. Mais avec des caractéristiques différentes. » Selon Audrey Large, les mondes physique et digital sont appelés à s’entremêler de plus en plus. « Ils finiront par fusionner complètement, comme c’est déjà le cas avec la réalité virtuelle. C’est cet avenir que j’essaie de dépeindre. »
Les objets sont très physiques, ils changent constamment de forme et de couleur quand on déambule parmi eux. Leur silhouette fantaisiste et leurs couleurs chatoyantes, comme le violet et le bleu azur, accrochent le regard. Cet effet soulève des questions. Pourquoi cet objet a-t-il l’air si numérique ? De quoi est-il fait ? Combien peut-il bien peser ?
Audrey Large modélise ses vases, bols, lampes ou tables à partir de séquences filmées et de scans 3D d’objets existants, qu’elle manipule ensuite sur son écran. « À travers le cinéma et la photographie, nous documentons le monde physique. Mon travail suit le chemin inverse : j’explore la façon dont le monde imaginaire du film peut être représenté par des objets matériels. Par conséquent, mes créations sont hybrides : elles présentent des propriétés à la fois matérielles et numériques. »
D’Eindhoven à Milan, l’envolée de l’artiste Audrey Large
Il y a cinq ans, la créatrice française a décroché un master en Social Design à la Design Academy Eindhoven. Par la suite, sa carrière internationale a rapidement décollé. En 2020, elle reçoit un Dutch Design Award en tant que jeune talent. « Audrey Large expérimente avec des effets visuels tels que la couleur et la réflexion, créant des illusions tangibles », peut-on lire dans le rapport lyrique du jury. Elle est désormais l’une des vedettes de la prestigieuse galerie de design Nilufar (active depuis 1979) à Milan, ville où elle présentera de nouvelles œuvres lors de la Semaine du Design de Milan 2023. La pièce maîtresse sera une installation qui occupera une pièce entière. « Je me sens désormais suffisamment confiante pour réaliser des œuvres plus grandes. L’échelle agrandie renforce l’émerveillement. »
Brouiller les pistes entre art et design grâce au numérique
Le mélange entre analogique et numérique – entre réel et imaginaire aussi – est omniprésent dans ses expositions, où des prints encadrés de ses animations numériques sont accrochés au mur à côté d’objets. Ces tirages sont-ils numériques ? S’agit-il de photos d’objets physiques ? Difficile de démêler le digital de l’analogique. Malgré la magie qu’elles dégagent, ces impressions ne sont pas à vendre. « Elles ne sont qu’une étape intermédiaire. En outre, ces tirages ne transmettent pas la confusion que les spectateurs ressentent devant les objets physiques. En effet, dans le cas d’une image numérique, le questionnement sur son statut et sa véritable nature tourne court. Nous partons du principe qu’une image de ce type a été manipulée. »
Malgré leur aspect numérique, les objets matériels sont fabriqués dans le studio d’Audrey Large à Rotterdam, à l’aide d’imprimantes 3D standard. « Il suffit de commander le bioplastique en ligne, précise la créatrice française. À l’issue de mes études, c’était le moyen le moins cher et le plus accessible de réaliser mes créations. Ensuite, j’ai exploré la façon dont la lumière se reflète sur différentes formes. Je suis constamment en train de sonder les limites de mes imprimantes 3D. De multiples incidents peuvent survenir, comme le plastique qui se détache ou les couleurs qui s’effacent. »
Maintenant qu’elle maîtrise la technologie, elle prépare déjà l’étape suivante : travailler avec d’autres matériaux. « Je suis en train de tester l’impression 3D de sable et de verre. Là encore, la réflexion de la lumière est complètement différente et produit un autre effet. La technologie m’offre sans cesse de nouvelles possibilités artistiques. »
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