Toutes leurs présentations commencent par cette question : « Comment repenser l’architecture dans un monde aux ressources finies ? »
Pour y répondre, le collectif d’architectes Bento met l’expérimentation de la matière au centre de ses réflexions. Florian Mahieu, Corentin Dalon et Charles Palliez, tous diplômés de la faculté d’architecture La Cambre Horta de l’université libre de Bruxelles ont créé Bento en 2019, un laboratoire de recherche sur les matériaux naturels, en particulier dans leur usage en milieu urbain. « Notre point de départ était de transposer l’expérience que nous avions eue au Bénin : travailler avec ce qu’on a sous nos pieds, en ville », entame Florian Mahieu.
En 2017, le travail de fin d’étude les mène à Sowé au Bénin, avec le collectif belge d’architectes L’Harmattan Architecture, pour concevoir un centre d’accueil pour enfants. Il leur importe de respecter le territoire matériel mais aussi social et symbolique en travaillant avec les anciens, les artisans et les bénéficiaires du lieu. « La philosophie que sous-tend ce projet fut d’arriver à une architecture qui soit acceptable, réalisable, réplicable et réparable », détaille Corentin Dalon. Celui-ci parle d’une « boîte à outils » dont disposent les architectes, qu’il convient d’utiliser en respectant la temporalité, le territoire et la matérialité, tout en gardant l’exigence du dessin.
Poursuivant cette approche, Bento mène ses recherches vers des matériaux régénératifs. Ils rejoignent le Fungal Lab, une association bruxelloise concentrée sur la recherche expérimentale en biomatériaux et y découvrent le mycélium : « la partie végétative du champignon, un réseau filamenteux souterrain », poursuit Charles Palliez. Le trio développe alors diverses recettes de mycélium qui, selon les substrats qui nourrissent le champignon, donnent des résultats plus ou moins durs, fins, spongieux, et dont les usages seront divers en architecture et en design. « Jusqu’à présent, ce matériau a été assez peu documenté, ce qui donne l’occasion de faire nos propres recherches et expériences, et de vraiment mettre les mains dans le cambouis », précise le jeune architecte.
Le fait de mettre en œuvre, d’observer et d’expérimenter la manière dont sèche, se fissure, s’agglomère ou prolifère tel ou tel matériau oblige les architectes de Bento à une certaine humilité pour rester « dans le concret ». Florian le souligne : « En tant qu’architecte, on est trop souvent habitué à travailler derrière un ordinateur. On avait besoin de toucher la matière. » Vinciane Despret rectifie : « Le matériau, la matière, est bien souvent inerte, exploitée, et pas très agente… »
« Nous partons de la science-fiction pour imaginer quel monde pourra être celui de cette architecture du vivant. » – Vinciane Despret, psychologue et philosophe
Docteure en philosophie et licenciée en psychologie, autrice de référence, réputée pour ses livres sur la question animale dans la nature, à l’instar de son enquête Habiter en oiseau, Vinciane Despret enseigne aux universités de Liège et de Bruxelles. Elle fait la rencontre de la bande de Bento « par un concours de circonstances assez invraisemblable », à un moment où elle invitait Anna Tsing, connue pour son essai anthropologique Le champignon de la fin du monde, qui traite du matsutake, ce champignon au nom nippon qui pousse sur des ruines. Avec son bagage philosophique, Vinciane Despret soulève des questions qui vont compléter les recherches des architectes de Bento.
Que fait-on du mycélium après la construction ? Est-ce de l’exploitation, de la coopération ou de la collaboration avec le monde naturel ? Est-il possible de vivre avec une matière vivante au lieu d’une matière inerte ? Quel monde va-t-on transmettre ? Pour tenter d’y répondre avec Bento, Vinciane Despret se charge du catalogue accompagnant l’exposition au pavillon belge de la Biennale d’architecture Venise, en collaboration avec l’anthropologue Juliette Salme et la romancière Christine Aventin.
Le pavillon belge à Venise est bien réel et, s’appuyant sur les expériences de Bento, met en œuvre une construction tangible. À travers pensée commune, critique et constructive, il s’inscrit de facto dans la thématique de la Biennale d’architecture de Venise, « Le Laboratoire du Futur », initiée par la commissaire ghanéenne et écossaise Lesley Lokko. « Dans une biennale d’architecture, il faut montrer de l’architecture », martèle Charles Palliez, l’un des trois Bento.
Au centre du pavillon, une structure est montée avec des matériaux « 100 % bruxellois et biosourcés » : des panneaux de mycélium qui sont produits à la coopérative bruxelloise Permafungi, dans les caves de Tour & Taxis, des bois de la forêt de Soignes (Sonian Wood Coop), le tout posé sur une dalle en terre crue issue d’excavation des chantiers de construction (BC Materials). Une manière de valoriser des filières de production qui peuvent permettre au secteur de la construction, aujourd’hui des plus polluants, d’aller vers un mieux-disant, redonnant de l’espoir.
Autour de cet ensemble, Bento dévoile es coulisses de cette production, les expériences qui ont mené à ces résultats et les techniques utilisées. « C’est une manière d’ouvrir la réflexion sur le potentiel de ces matériaux », ajoute Corentin Dalon, qui insiste sur le fait que est recyclé puis réutilisé à Venise.
> Labiennale.org et bento.archi
