En Wallonie, l’envers et le design des poêles à bois Stûv

40 ans tout juste après s’être lancé sur le marché des poêles à bois avec Stûv, Gérard Pitance a reçu IDEAT dans son usine. Un lieu à la fois site de production et vitrine d’une marque envisagée comme un projet sociétal à part entière.

Bois-de-Villers, une petite commune du Namurois. Le bâtiment bardé de bois qui abrite le QG de Stûv pourrait presque passer inaperçu. Sur ce site, on trouve le showroom et les bureaux administratifs du fabricant belge de solutions de chauffage, ainsi qu’une unité de production, explique Gérard Pitance. « Nous possédons également un site à Floreffe qui héberge notre équipe de R&D, et un troisième à Thuin : l’atelier de tôlerie Ulis que nous avons racheté pour pallier le manque de main-d’œuvre dans ce type de métier. Le quatrième est situé au Canada, à Montréal. Il nous permet d’assurer une production semi-locale pour les produits destinés au marché nord-américain », précise le chef d’entreprise.

Loquace quand il évoque les détours qu’il a pris depuis 40 ans pour asseoir durablement – et sans brûler les étapes – son statut de pionnier dans le secteur des poêles à bois, ce diplômé en design n’est pas du genre à éviter les sujets qui fâchent. Son projet d’entreprise est d’ailleurs né d’un constat implacable : l’absence d’entreprises manufacturières dans le tissu économique wallon des années 70. « Soit je changeais de métier, soit je me montrais créatif. J’ai donc suivi une formation de maréchal-ferrant, le métier de mon grand-père, en trois ans, et devant la flamme, j’ai découvert le bonheur de façonner un objet de mes mains. »        

Chef d’entreprise à caractère humaniste et pionnier dans son secteur, Gérard Pitance cherche toujours à repousser les limites du possible.
Le bâtiment bardé de bois qui abrite le QG de Stûv à Bois-de-Villers, à quelques minutes de Namur.

Design thinking pour poêles à bois

Alors qu’il nous guide dans son usine wallonne – un bâtiment de 5 000 m2 en cours d’agrandissement (il en fera bientôt 8 000) – Gérard Pitance navigue entre ses deux passions : le développement de nouveaux produits, une passion qu’il partage avec une équipe de designers, de scientifiques et d’ingénieur·euse·s et une attention toute particulière accordée au geste. « À mes débuts, j’ai soudé moi-même mes premiers poêles. Cette pratique m’a naturellement amené à développer des outils de production qui facilitent le travail de nos ouvriers ». Le designer-inventeur nous montre une table élévatrice, sa création, adaptable à la taille de chaque ouvrier. Une fois assemblée, la base du poêle est acheminée, depuis cette table, vers le poste de travail suivant.

En l’espace de quatre décennies, la notion de design thinking n’a cessé de figurer au cœur du travail de Gérard Pitance. Centré sur l’humain, son projet implique l’adhésion de ses 140 collaborateur·rice·s, mais aussi des architectes, et de ses principaux·pales interlocuteur·rice·s. « Notre esthétique découle d’une démarche proche de la leur », précise le designer, en nous présentant des composantes du Stûv 30, bestseller de la marque Stûv : un produit innovant qui combine trois utilisations (feu ouvert, porte vitrée et porte-pleine). « Si sa forme cylindrique très caractéristique a été copiée par plusieurs marques concurrentes, notre modèle présente deux zones planes. Placées à la verticale, elles épousent la surface du mur auquel le poêle est adossé. Un détail qui fait toute la différence. Révolutionner une forme est un processus complexe qui ne se limite pas à un simple geste esthétique », rappelle le fondateur de Stûv.

La notion de design thinking guide le développement de Stûv depuis sa création.
Malgré la robotique pointue présente, la main de l’homme reste fondamentale dans le processus de production des poêles Stûv. Depuis 2015, les ingénieur·euse·s de Stûv travaillent à la réduction des émissions de microparticules qui avoisinent désormais le niveau zéro.

Marées noires et babas-cool

 « Mon premier poêle, je l’ai fabriqué pour mon usage personnel », s’amuse à dire Gérard Pitance. Au début des années 80, les derniers soubresauts du mouvement hippie, la guerre du pétrole et la première vague de la tendance « retour à la nature » cadrent avec les aspirations du jeune designer qu’il était. « Cette période était liée à une très grande liberté sur le plan créatif », ajoute-t-il. « Si vous concevez un produit pour répondre à une demande spécifique du marché, il s’inscrit forcément dans une démarche purement marketing. En tant que designer, j’ambitionne au contraire de créer un produit totalement différenciant qui puisse à la fois refléter l’air du temps et coller à notre identité, ainsi qu’à nos forces et faiblesses. Notre positionnement dans un segment haut de gamme n’est pas un choix, mais une obligation liée à notre volonté de produire localement. Nous ne cherchons pas à justifier les prix de nos produits au travers d’une esthétique ostentatoire. Dans ce sens, nous adaptons nos designs que lorsqu’il s’agit de répondre aux nouvelles normes en vigueur sur les différents marchés où nous sommes distribués. »

Considérée comme minimaliste, le style de Stûv est une réponse à l’esthétique d’une époque, celle qui a vu naître la marque. « Ce qu’on peut observer actuellement sur le marché nord-américain dominé par un style totalement acculturé était une réalité chez nous, il y a 40 ans. Tiraillé entre une demande forte pour des produits de style classique ou rustique et les prémisses d’une nouvelle esthétique, nous avons trouvé dans le minimalisme une sorte de compromis ». Un compromis « à la belge » qui a propulsé Stûv dans la classe des pionniers du poêle 2.0. « La simplicité est une clé qui ouvre de nombreuses portes, tant d’un point de vue stylistique qu’en termes de réduction des coûts de production », précise l’homme.

La confiance qu’accorde Gérard Pitance à ses collaborateur·rice·s se ressent dans l’enceinte de l’usine. La surface de l’unité de production vient de passer de 5 000 à 800 m2.
Le design des produits Stûv n’est modifié que lorsque les nouvelles normes du secteur l’imposent.

De l’homme au foyer

« Depuis longtemps, je sais qu’un jour, Stûv fera… des maisons ! Le foyer va redevenir ce qu’il était », assure Gérard Pitance. « Dans le futur, l’architecte concevra l’habitat autour du foyer, plutôt que l’inverse », énonce-t-il, confiant. « Pour pouvoir innover dans ce sens, une entreprise doit prendre des risques. Dans notre département Recherche et Développement, compte tenu des profils très différents de nos collaborateur·trice·s, il est fréquent que des conflits surviennent. Mais, paradoxalement, l’innovation naît de la résolution de ceux-ci », ajoute-t-il. « Le style minimaliste peut devenir une impasse. Lorsqu’on est allé au bout de l’épure, que peut-on encore créer de nouveau ? La forme suit-elle la fonction ou l’émotion ? Cette question, les fabricants de mobilier se la posent depuis quelques années déja. Dans le registre de l’objet, on peut répondre. Dans notre secteur, c’est plus complexe », souligne-t-il en nous faisant zigzaguer dans les allées de l’usine.

Les visages détendus des travailleur·se·s devant les machines ne trompent pas. La notion de plaisir qu’évoque le chef d’entreprise n’est pas un leurre, mais une sorte de petit miracle wallon qui réjouit autant qu’il surprend. « Notre rôle consiste à créer le plaisir, la surprise, l’étonnement. Pour mon plus grand bonheur, nos nombreuses années de pratique nous autorisent à jouer avec le feu ! »

Malgré la robotique pointue présente, la main de l’homme reste fondamentale dans le processus de production des poêles Stûv. Depuis 2015, les ingénieur·euse·s de Stûv travaillent à la réduction des émissions de microparticules qui avoisinent désormais le niveau zéro.
Minimalisme des produits et simplicité des formes : un parti pris stylistique autant que rationnel puisqu’il permet de réduire les coûts de production.

Stuv.com


Article publié initialement dans IDEAT Benelux novembre-décembre 2023