Iris van Herpen, une exposition science-fashion à voir à Paris

La créatrice sculptrice de rêves possède l’art de mêler féérie et technologie. Des disciplines qui composent toute la beauté de l’œuvre unique d’Iris qui fut danseuse, et qui est conteuse. Ses créations, Haute Couture puisqu’intrinsèquement fabriquées à la main (même quand la machine prend momentanément un relai millimétré), narrent une époque sans âge, une insatiable quête d’exceptionnel. On ne peut relier son travail à aucune École, puisqu’elle a inventé la sienne. Jusqu'au 28 avril 2024, l’exposition « Sculpting the Senses » organisée au Musée des Arts décoratifs de Paris révèle une sélection d’une centaine de ses pièces, stupéfiantes, toujours en interaction avec l’art, le design et la science.

Créatrice Iris van Herpen
La créatrice Iris van Herpen porte une de ses propres réalisations : un manteau de la collection « Liquid Metal », datant de 2014. Photo : Robin de Puy

IDEAT : Quelle est la genèse de cette expo rétrospective ?

Iris van Herpen : Le Musée des Arts décoratifs m’avait déjà sollicitée il y a quelques années pour monter une rétrospective de mon travail, mais aussi pour montrer le contexte entourant la création de ces pièces. Rassembler tous les éléments a constitué un long processus, et nous voulions simplement prendre le temps de nous y consacrer pleinement, pour y insuffler toutes les dimensions de ma vision. Nous y avons intégré mon travail avec d’autres artistes et designers et finalement, cela nous a pris quatre ans et demi (pour cet évènement, Iris a travaillé à partir de coraux et des fossiles et a collaboré avec pas moins que les artistes Wim Delvoye, Rogan Brown, Kate MccGwire, Kohei Nawa, Casey Curran, Ren Ri, l’architecte Jacques Rougerie, le danseur Damien Jalet, ainsi les designers Neri Oxman, Ferruccio Laviani et Tomáš Libertíny, NDLR)

Quel est l’impact de l’intelligence artificielle sur votre démarche de création ?

IVH : Nous préparons justement un projet spécial en relation avec l’intelligence artificielle sera dévoilé à l’occasion de l’exposition. De manière générale, c’est un outil qui fait souvent partie de ma réflexion quand il est appliqué à des détails, comme pour le shooting de la campagne de ma dernière collection « Architectonics », présentée lors de la semaine de la Couture à Paris. Mais je n’utilise pas forcément l’intelligence artificielle dans mes collections proprement dites. Elles sont si personnelles, que je tiens à tout dessiner moi-même, d’une manière physique et intuitive 

Quelles sont les matières innovantes que vous avez utilisées pour cette collection ?

IVH : Nous avons développé une technique pour une des robes du final, dans une matière qui a été conçue par algorithmes biométriques, une microfibre très fine qui permettait de placer les motifs de manière à ce qu’ils articulent toute une histoire lorsqu’ils sont animés. C’est une technologie qui permet un placement parfait des dessins, sur une matière particulièrement légère, et qui met le travail de la main en valeur. Nous avons également expérimenté une nouvelle matière en coquillages broyés et mélangés à du silicone, injectés à la main dans des lignes découpées au laser. Ces techniques ont nécessité un certain temps de développement pour mêler la nature à la technologie, et donner vie à un nouveau type de vêtements. Nous avons par ailleurs travaillé avec des matériaux durables, comme des feuilles d’ananas et de cacaoyer.

Quel est votre rapport aux accessoires en particulier ?

IVH : Depuis le début, les chaussures (sculpturales, NDLR) ont joué un rôle important dans mes défilés. J’adore les souliers, la façon dont ils peuvent compléter une silhouette, influencer toute une allure. Les derniers sur lesquels nous avons travaillé pour la collection « Architectonics » constituent un bel équilibre entre des lignes graphiques et une qualité organique. C’est un schéma récurrent dans mes chaussures : un contraste entre la féminité et une intention expérimentale.

Vous développez depuis le début des techniques avant-garde et exploratrices, mais vos collections reflètent de plus en plus un lien avec la nature…

IVH : La nature a toujours été intégrée à mon travail et avec les années, cette passion s’est renforcée. Il y a tant à explorer quand on observe la nature au microscope, elle exprime toute la beauté de l’univers. Je n’essaie jamais de la copier littéralement, mais j’aime l’interpréter. Au-delà de ce qu’on voit en surface, il y a beaucoup de choses à apprendre de la nature en termes de circularité et de durabilité. Je pense qu’il y a aussi un lien avec le fait que j’ai déménagé en périphérie d’Amsterdam, dans un endroit magnifique près d’une réserve naturelle, qui influence la manière dont j’observe désormais les détails. Mon studio est resté en ville, et ce contraste me fait du bien.

Détails des foulards de sa collection Couture "Hypnosis" (2019-20)
Détails de foulards en soie lavée au sable et imprimée Iris van Herpen, au graphisme en trompe- l’œil tiré de celui de sa collection Couture « Hypnosis » (2019-2020).

Collaborez-vous toujours avec des scientifiques ? Cela concerne-t-il plus la création ou la technique ?

IVH : Absolument, parce qu’une bonne conversation peut être très inspirante. Beaucoup de scientifiques s’intéressent aux mystères de la nature, cherchent à comprendre le monde dans lequel nous vivons, et j’essaie de faire la même chose dans mon travail. C’est aussi la raison pour laquelle je collabore parallèlement avec des architectes pour pousser toujours plus loin la matérialisation de mes inspirations.

Êtes-vous capable de fabriquer tous vos matériaux dans votre atelier ou devez-vous faire appel à des laboratoires spécialisés ?

IVH : Nous créons en grande partie nos matières premières sur place, et parfois, certaines machines comme des coupeuses au laser ou des imprimantes 3D sont plutôt accessibles en dehors de l’atelier. Nous travaillons avec les meilleures sociétés dans leur domaine partout dans le monde, et ça nous rend plus flexibles. J’ai développé des techniques avec un architecte de Toronto, et donc nous sommes allés finaliser des pièces sur place. Mais ce sont des exceptions : la plupart des pièces sont fabriquées par nos soins, à Amsterdam

Pour monter cette exposition, vous avez dû revisiter toute votre carrière. Avez- vous redécouvert certains éléments de vos collections passées ?

IVH : J’ai passé en revue un grand nombre de silhouettes, mais ma démarche est de toute façon tournée vers l’avenir. Dans l’exposition, nous avons installé une « pièce atelier », pour que les visiteur·euse·s puissent accéder à notre laboratoire et voir la manière dont nous travaillons. Nous sommes aussi repassés dans nos archives de matières premières, nous avons retrouvé des échantillons expérimentaux, dont une centaine sera exposée au Musée des Arts décoratifs. Je pense que d’une certaine manière les gens seront submergés par ce niveau d’artisanat. Rouvrir toutes ces boîtes d’échantillons a également été très inspirant, parce que certains n’ont jamais été utilisés, mais ils contenaient tant d’idées qu’ils m’ont donné envie de me repencher sur ces techniques.

En quelle mesure l’architecture influence-t-elle votre réflexion sur la mode ?

IVH : L’architecture intervient très souvent dans mon travail et de toute façon dans tout mon processus de réflexion, mais ce n’est pas systématique, ça vient par vagues successives. Ma dernière collection en porte d’ailleurs le nom : « Architectonics ». L’architecture est une de mes inspirations directes. Les techniques de construction s’intègrent également dans la conception de mes vêtements.

Vous avez un parcours de danseuse. Vous avez collaboré avec Benjamin Millepied pour l’Opéra de Paris, avec le New York City ballet, mais aussi avec différentes compagnies en Europe. Dansez-vous toujours ?

IVH : Non. (Rires) J’ai un peu honte de l’avouer parce que j’adore ça, mais je suis une vraie workaholic et je n’ai plus vraiment le temps. Cependant, j’aime toujours aller voir des performances. Quand je crée, je pense toujours au mouvement, et je vois les vêtements danser sur la peau. Le corps qui donne vie à mon travail, c’est de la danse dans un sens très subtil.


Article publié initialement dans IDEAT Benelux n°4 novembre-décembre 2023 et édité

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