Paris Design Week 2023 : le design de collection belge en primeur à la galerie Sinople

À l’occasion de leur deuxième participation à la Paris Design Week, pendant Maison&Objet, IDEAT Benelux a rencontré le cofondateur de la galerie-studio Sinople. Avec Éric-Sébastien Faure-Lagorce, Julien Strypsteen a à nouveau décidé de miser sur la jeune garde des designers d’outre-Quiévrain avec toute une variété de médiums et de pratiques qui évoquent un renouveau du design de collection.

Du 7 au 16 septembre 2023 se déroule la Paris Design Week où l’on retrouve la galerie Sinople, codirigée par Julien Strypsteen, qui présente un panel inédit de créations made in Belgium, mais pas seulement. Rencontre.


IDEAT : « Horizon », à la Paris Design Week 2023, présente vos artistes belges. Pourquoi ?

Julien Strypsteen : C’est une évidence pour un Lillois aux origines flamandes comme moi, et un amateur de la ligne nordique, comme Éric-Sébastien Faure-Lagorce. Nous sommes réunis par un goût commun pour la peinture flamande (et néerlandaise). Nous travaillons depuis déjà deux ans avec des créateurs belges et avons participé à la foire Collectible à Bruxelles en mars 2023. Lors de cette édition, nos échanges avec nos confrère·sœur·s belges, les collectionneur·euse·s et surtout les créateur·rice·s que nous avons rencontrés nous ont finalement confirmé nos similarités de pensée.

IDEAT : Quelles sont les spécificités la nouvelle scène de design belge que vous défendez ?

JS : Évoluant de façon plus affranchie des conventions muséales ou de collection, elle opère plus librement sans réellement se poser la question du statut d’auteur ou même de celui de ses productions. Son esthétique souvent brutaliste et minimale amène à l’essentiel avec une sensibilité laissée à la matière. Elle est également dominée par la volonté des artistes de produire par eux-même. Le caractère régulièrement ascétique de ses productions n’en fait pas pour autant des pièces silencieuses. Elles clament avec élégance et discrétion des valeurs que nous partageons, prennent souvent corps face aux questionnements actuels de notre société. Mettre à l’honneur la jeunesse de cette scène nous apparaissait donc inévitable et tout particulièrement pendant la Paris Design Week. Nous souhaitions y présenter les horizons transfrontaliers de la galerie et poursuivre ces liens avec l’outre-Quiévrain pendant un événement phare du design international, y exposer les nouveaux horizons définis par ces créateur·rice·s

Charlotte Anne Declercq, Harara. Courtesy of the artist and Sinople, Paris

IDEAT : Que pouvez-vous nous dévoiler sur cette exposition à Paris pendant Maison&Objet ?

JS : Elle nous fait voyager en Belgique et emprunte des chemins côtiers jusqu’à Anvers (les cinq artistes que nous présenterons y travaillent). Le travail photographique de Rana Van Pellecom, réalisé à bord d’un navire cargo, couvrira les murs de la galerie. À bord, n’ayant pour seul horizon que le hublot de sa cabine et l’intérieur de celle-ci, Rana a produit des images qui prennent le port anversois pour point de départ jusqu’à Göteborg en Suède. Ses clichés, tout en nuance de teintes et lumières, cherchent à transcrire un sentiment d’apaisement intérieur capturé au gré des mouvements extérieurs de son embarcation. L’exposition offrira ensuite à voir les pièces de mobiliers et objets réalisés par Thibeau Scarcériaux, Elias Van Orshaegen , Charlotte Anne Declercq et Joris Verstrepen.

IDEAT : Quels matériaux choisissent les artistes et designers que vous représentez ?

JS : Nous exposons pour la première fois la série de mobilier en aluminium et acier d’Elias Van Orshaegen : « Statera mirror in motion »  – un miroir mobile – et un Loveseat. Cette collection à proprement parlé fait écho au travail de Charlotte Anne Declercq, créatrice qui a également choisi le métal pour Harara, un ensemble de tabourets et guéridons en aluminium qui jouent avec les volumes et les proportions tout en faisant des techniques d’assemblage un élément d’ornement. L’assise et le métal sont également l’œuvre de Joris Verstrepen avec sa série « A place for contemplation ». Entre fonctionnalité et art tenant de la sculpture, cette série porte à nu des matériaux naturels comme le schiste de Bertrix, tel que prélevé brut dans une carrière du Luxembourg, proche de son atelier. Il y aussi les œuvres en verre de Thibeau Scarcériaux qui poursuivent ses cheminements au détour de The War Chair, une assise criblée de tir de balles, et de 252455615968443048 seconds, un étonnant miroir éclairé figurant la disparition du soleil, puis d’un paravent et de lampes en inclusion de radiographies (« X-race »).

Rana Van Pellecom, Primula Window. Courtesy of the artist and Sinople, Paris

« L’exposition nous fait voyager en Belgique et emprunte des chemins côtiers jusqu’à Anvers… » – Julien Strypsteen, cofondateur de la galerie Sinople.

Charlotte Anne Declercq, Embracing Variables. Photos : Lanthe Meylemans
Joris Verstrepen, Contemplation Bench. Courtesy of the artist and Sinople, Paris

IDEAT : Les Belges Thibeau Scarcériaux et Elias Van Orshaegen viennent de rejoindre votre galerie. Qu’est-ce qui vous plaît dans leur travail ?

JS : La dimension conceptuelle ou sculpturale des travaux de Thibeau et Elias nous séduit avec Éric. L’un et l’autre se distinguent par un usage minimaliste et pourtant « sophistiqué » de la matière pour leurs productions, proches et pourtant si différentes. Thibeau Scarcériaux explore les aspects sociaux, culturels, économiques et physiques de sujets souvent controversés ou tabous à travers la conception de ses pièces, qu’il s’agisse du racisme, de la mort… D’une manière réfléchie et qui incite à la réflexion, l’objet devient médium dans sa pratique. En cela il conviendrait de le situer aux abords du « functional art ». Elias Van Orshaegen développe quant à lui une approche plus instinctive et pratique du design de collection. Entre mémoire primaire et désirs culturels exploratoires, il développe un répertoire de formes d’usage universalistes qu’il s’attache à fabriquer de ses propres mains ou en collaboration. Son mode opératoire l’amène à des très petites séries et à expérimenter continuellement sur ses matériaux de prédilections que sont le métal, le bois ou le béton.

Thibeau Scarceriaux, Race. Courtesy of the artist and Sinople, Paris
Elias Van Orshaegen, Loveseat. Photo : Rikki Siebens. Courtesy of the artist and Sinople, Paris

IDEAT : Quelle est finalement l’identité de la galerie Sinople ?

JS : Avec Éric, nous accordons une attention particulière à la constance de la démarche des artistes avec qui nous collaborons, tant dans leur approche conceptuelle qu’esthétique bien qu’elles doivent naturellement évoluer au gré de leurs expérimentations. En revanche, l’expérimentation ne saurait constituer une fin en soi dans nos sélections. Nous attachons d’abord une importance particulière à leur capacité à entrevoir la transformation de la matière dans un juste équilibre entre fins et moyens : chaque objet, pièce de mobilier qui entre à la galerie n’est pas qu’un élément meublant plongé dans un contexte esthétique ou esthétisant. Il a indépendamment une histoire et soutient une démarche, un propos que nous aimons croiser avec celle des œuvres d’art.

Elias Van Orshaegen, Statera Mirror. Photo : Rikki Siebens. Courtesy of the artist and Sinople, Paris

IDEAT : Sinople est-elle plus une galerie ou un studio de création ?

JS : Les deux ! Sinople cultive effectivement une double identité, celle de la galerie mais également celle de son studio. Depuis sa création il y a cinq ans, et notre première exposition, la galerie porte le souhait de proposer aux collectionneurs une vision et une expérience plus large de l’œuvre, de l’objet ou du mobilier d’art. Chaque exposition dévoile la force narrative de chacun et ouvre à une lecture croisée de la démarche des auteur·rice·s. Sinople n’a eu cesse de promouvoir le décloisonnement entre les disciplines créatives. Art contemporain, collectible design, crafts, photographie, arts graphiques, sculpture, bijou d’auteur ou encore livres d’arts et même antiquités sont ainsi croisés dans nos douze propositions jusqu’ici. Nous initions également des productions en faisant se rencontrer designers, architectes, artistes, artisan·e·s etc… pour développer des projets tous ensemble. Le studio opère avec la même philosophie et nous proposons des projets qui s’appuient sur l’éditorialisation de contenus et la création artistique pour nos client·e·s. Curation, production d’œuvres, stratégie créative, direction de création répondent aux demandes des institutions et de Maisons avec lesquelles nous collaborons. Ces expériences prennent corps pour des expositions, du set design, du sourcing, des aménagements en architecture intérieure, des projets d’édition… et s’appuient systématiquement sur l’identité, l’univers et l’histoire de nos partenaires.

Thibeau Scarceriaux, War Chair. Photo : Thibeau Scarceriaux

IDEAT : À quoi s’attendre chez Sinople pour la fin de l’année 2023 ?

JS :  Sans trop les dévoiler, nous sommes très heureux de nos prochains projets, notamment avec l’artiste d’origine japonaise Miyouki Nakajima. L’un d’entre eux sera révélé bientôt en collaboration avec une Maison française de Haute Joaillerie au Japon et l’autre dans le courant de l’automne à Istanbul pour une exposition menée par un important producteur de défilés de mode… Je vous invite à nous suivre !

> Sinople. Hôtel de Retz, 9 rue Charlot, 75003 Paris (FR). Sinople.paris