Rencontre avec l’artiste numérique Andrés Reisinger, créateur de la Hortensia Chair devenue virale

L’artiste numérique, né en 1990, est un marqueur de sa génération. Après un succès viral sur Internet, sa Hortensia Chair, couverte de 30 000 pétales de roses textiles découpées au laser, est désormais disponible, sans les fleurs, dans 392 variantes de couleurs. Un design pivot du XXIe siècle, à la fois encensé et décrié, entré aux collections du Design Museum Gent.

Depuis cette création en 2018 et sa fabrication industrielle par son éditeur Moooi en 2021, Andrés Reisinger a enchaîné les partenariats avec des firmes de renom, comme le constructeur auto Audi et la division Beauté de Dior, générant à chaque fois de nouvelles oeuvres en 3D et autant d’installations. Très sollicité, il passe aujourd’hui à la vitesse supérieure avec de nouvelles itérations de son art digital en objets. Au-delà des images, IDEAT l’a rencontré.


IDEAT : Votre studio est comme on l’imagine : un hub créatif. Que tirez-vous du travail en équipe ?

Andrés Reisinger : Travailler en équipe est récent pour moi. Avant, je me concentrais seul, et mon travail prenait du temps à germer. OEuvrer avec une variété de profils, des développeur·euse·s, des designers produit, me permet de faire naître des créations où chacun·e apporte ses influences.

Quelles ont été vos premières amours créatives ?

Andrés Reisinger : Deux choses ont joué un rôle clé dans mon histoire personnelle et ma manière de créer. Tout d’abord, la musique, avec le Conservatoire de musique classique de Buenos Aires, que j’ai fréquenté. Ensuite, mes études à l’université d’Architecture de la ville. Ces deux univers et leur rigueur respective m’influencent toujours.

Les intérieurs en 3D que vous créez sont rythmés de références… aux années 70 par exemple.

Andrés Reisinger : En y réfléchissant, je pense que je n’ai jamais eu des références claires ou intentionnelles, parce que je suis un enfant d’Internet. De nos jours, se dire héritier d’un courant d’art ou de design, n’a pas d’importance. On se laisse simplement emballer par les stimuli des images online. C’est la création finale qui importe. Ce mode de pensée est celui de ma génération.

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Vue d’une installation en 3D hyperréaliste de l’artiste, avec le canapé Complicated Sofa (à gauche), produit en polystyrène recyclé en 2021 pour la galerie de collectible design Nilufar. PHOTO : COURTESY OF ANDRÉS REISINGER

Vous vous êtes installé à Barcelone il y a huit ans. Votre prochaine étape ?

Andrés Reisinger : Ouvrir un nouveau studio, cette fois-ci à Madrid. Je suis en train de faire des allers-retours pour l’aménager cet été.

Aviez-vous une vision culturelle du design espagnol avant de venir en Europe ?

Andrés Reisinger : Non, car la vision globale, à l’échelle mondiale, m’importe plus que les étiquettes et je crois que c’est pour ça que mes designs sont autant évocateurs.

Est-ce cette identité hybride de vos créations, entre l’architecture de rendu et la conception de meubles « en dur » qui vous intéresse ?

Andrés Reisinger : C’est leur complémentarité qui m’intrigue. Je crois que l’art et le design digital peuvent nous amener à concevoir autrement les choses du quotidien et à avancer, à réfléchir d’une manière antistatique, anticlassique, anticonventionnelle, pour changer aussi notre relation à l’objet et, in fine, au matérialisme ambiant.

Que pensez-vous que l’on attend aujourd’hui de vous après le succès de votre Hortensia Chair ?

Andrés Reisinger : Je ne pense pas aux qu’en-dira-t-on.

C’est une bonne chose, vu l’effervescence lors de la présentation de votre nouveau produit pour Moooi à Milan, en avril : le tapis The Pollination of Hortensia.

Andrés Reisinger : J’étais heureux de pouvoir le présenter lors de la Milan Design Week. Le public, des professionnel·le·s, et des particuliers qui viennent voir les nouveautés design à ce moment, avait envie de comprendre la genèse de ce produit, sa matière, de le toucher aussi…

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The Pollination of Hortensia Carpet (2023), qui illustre « le pouvoir de la transformation et de l’évolution naturelle » (sic) présenté avec Hortensia Chair (2021), design tout aussi symbolique (et confortable) de l’Argentin. PHOTO : COURTESY OF ANDRÉS REISINGER

Quelle est votre intention avec ce nouveau produit ?

Andrés Reisinger : Cette série de tapis en huit variantes de tailles et de coloris est la réinterprétation de mon oeuvre d’art digitale et interactive Pollen, basée sur mes recherches sur les teintes vibrantes et changeantes des fleurs, et comment elles évoluent du printemps à l’automne, en fonction de l’environnement et de ses agressions (pollution, etc.). L’oeuvre existait au départ en NFT (objet unique accessible par l’intermédiaire d’un jeton numérique non fongible, NDLR).

Avec le temps, on y voyait de nouvelles fleurs apparaître, évoquant le processus naturel de pollinisation. The Pollination of Hortensia Carpet fait donc entrer la nature dans tous les intérieurs à la manière d’un tableau mouvant, mais sous nos pieds puisqu’il s’agit d’un tapis. C’est un objet de rêve en quelque sorte, qui donne l’impression de changer de couleur à chaque fois que vous le regardez.

Dans votre studio à Barcelone trône votre sculpture sonore The Object. Quelle expérience offre-t-il ?

Andrés Reisinger : Il s’agit d’une pièce unique réalisée avec le musicien et producteur RAC (André Allen Anjos), lauréat d’un Grammy Award, pour la sortie d’un de ses EP. Il diffuse un morceau d’ambient d’une heure qui n’existe que dans cet appareil et il a été fabriqué en Espagne après avoir été vendu en NFT sur la plateforme Nifty Gateway. C’était très expérimental et ça m’a conduit à développer d’autres produits à la frontière entre la sculpture et l’objet…

Vos éditions par Moooi vous permettent de toucher un large public, tandis que votre base de collectionneur·euse·s d’art et design s’étend sur le digital. Les connaissez-vous ?

Andrés Reisinger : Oui, et j’en connais beaucoup ! J’aime échanger avec eux·elles pour comprendre autrement mon travail.

Que ne savons-nous pas encore sur Hortensia Chair, qui a même fait l’objet d’un mini documentaire ?

Andrés Reisinger : Je l’ai proposé à de nombreux éditeurs et beaucoup ont refusé, rétorquant qu’il ne s’agissait que d’une image artificielle. J’ai donc dû constituer mon propre studio de design pour qu’elle puisse prendre vie.

La designer textile Júlia Esqué a cosigné ce produit. Travaillez-vous toujours ensemble ?

Andrés Reisinger : Oui, nous sommes très proches. Avant que je n’ouvre mon studio à Barcelone, nous en partagions un.

La création d’objets est-elle aussi importante que la création d’images pour vous ?

Andrés Reisinger : Je pense que la réponse est non, car elle ne touche pas le même nombre de personnes ; des milliers d’utilisateur·rice·s en chair et en os, versus des millions d’internautes.

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Take Over (2023) emmène l’internaute à découvrir des villes et des paysages emblématiques sous le filtre de l’artiste. Comme Hortensia Chair et ses collections de mobilier virtuel en NFT destinées aux métavers, à l’instar de Decentraland, et ayant atteint des prix record (450 000 dollars pour « The Shipping »), cette série est en images de synthèse. PHOTO : COURTESY OF ANDRÉS REISINGER
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PHOTO : COURTESY OF ANDRÉS REISINGER

Si l’on considère l’art numérique comme un art démocratisé, qui permet de rêver d’un monde meilleur, est-ce mieux de créer ainsi plutôt que de chercher la fonctionnalité à tout prix ?

Andrés Reisinger : Les deux sont importants mais pour ma part, je n’aime pas forcément la perfection, malgré l’image parfaite de mes créations. J’aime l’imprévisible dans la création et le digital permet justement de s’adapter. Une obsession n’est bonne que lorsqu’elle est positive.

Votre sculpture-aire de jeu au festival Lollapalooza Argentina et vos rendus 3d de châteaux gonflables ont-ils la même intention, celle de nous extirper du monde réel, loin d’être tout rose ?

Andrés Reisinger : Plus encore, je les considère comme des expériences sociales par excellence et des « vaisseaux » qui permettent de mieux nous connecter à ce qui nous entoure, sans toutefois imposer quelconque théorie ou style. Je trouve d’ailleurs intéressantes les réactions parfois primaires que nous avons face aux objets non fonctionnels et aux couleurs comme le rose, si genré il y a encore quelques années…

Travailler avec davantage de données que de plastiques (vous préférez le bioplastique) vous donne-t-il bonne conscience ?

Andrés Reisinger : Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix. Il n’y a pas un matériau unique que nous utiliserons à l’avenir, tout comme des tendances à suivre. Il s’agit plutôt de savoir à quel point nous pouvons créer de manière durable, et avant tout sociale.

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