Respirer. Le mot revient souvent dans la bouche d’Alice Vandenabeele. Car depuis 2005, la galerie qu’elle codirige avec Raphaël Cruyt est bien plus qu’un espace d’exposition. C’est un lieu de vie, de rencontres, d’échanges entre des artistes sélectionnés avec soin, leurs œuvres et ceux et celles qui les accueillent chez eux. « Ce que j’aime, c’est ce qui me fait du bien. Il faut que j’aie envie de revoir une œuvre encore et encore pour avoir envie de la défendre », confie-t-elle. Sa curation n’obéit à aucune règle. Pas de fiches, rarement un CV. Juste beaucoup d’émotion.
L’exposition anniversaire de ce printemps rassemblait 25 artistes – un savant mélange de piliers, de retours et de nouveaux venus. « Olivier Kosta-Théfaine, par exemple, avec qui on n’avait plus collaboré depuis quinze ans, revient. On s’était perdus de vue, et là, on s’est rabibochés. » La galerie est aussi un lieu de résilience : « Derrière chaque relation avec un ou une artiste, il y a une véritable histoire. Ça se travaille, comme une amitié ou un couple. » Et en parlant de couple, justement. Alice et Raphaël travaillent ensemble depuis le début, vivent ensemble aussi. Une gageure ? Non, une question d’équilibre. « Même si on est dans le même espace, on a des rôles très différents. On doit souvent se raconter notre journée le soir avant de s’endomir », confie Alice. Car si Alice Gallery fonctionne en binôme depuis le début, c’est aussi parce qu’Alice et Raphaël ont su répartir leurs forces et compétences. Alice incarne l’âme curatoriale du lieu : elle choisit les artistes, construit les expositions, pense les accrochages avec une vision presque organique. « C’est dans mes tripes que ça se passe », dit-elle. Raphaël, lui, agit davantage en chef d’orchestre logistique, attentif aux projets en coulisses, aux partenariats, aux stratégies à plus long terme. Ensemble, ils incarnent deux regards complémentaires, deux pôles qui font tenir debout une même exigence artistique.
Alice Gallery, c’est aussi une histoire de fidélité. Certains collectionneurs ne jurent que par elle. « Un de nos clients, c’est marrant, il n’achète que chez nous. Chez lui, c’est presque une antenne de la galerie », raconte la curatrice. Jean Julien, Steve Dehoux, Jeffrey Cheung, Maya Hayuk, Paul Wackers… Leurs œuvres habitent les murs de sa maison comme celles de ses collectionneurs. « Jean Julien est présent dans toutes les pièces chez moi. C’est simple, ses œuvres me font du bien. » Mais Alice ne cherche pas l’unanimité. Elle assume ses coups de cœur, son attachement à des œuvres colorées, accessibles, souvent ludiques. « Ce sont des œuvres qui parlent directement à la personne qui les contemple. Je ne suis pas là pour donner une leçon, mais plutôt pour partager une émotion. » Même quand elle explique une pièce faite de papier brûlé par Olivier Kosta-Théfaine, inspirée des tags de son adolescence en banlieue parisienne, elle insiste : « Il n’y a rien besoin d’expliquer. C’est ce qu’on ressent qui est important. » Le feu qui l’anime ? Celui des artistes. « Je suis nourrie par leur énergie. » Pourtant, en 20 ans, elle a vu le métier évoluer, surtout avec l’arrivée des réseaux sociaux qui a bouleversé les pratiques… « Avant, les gens venaient voir les expos. Aujourd’hui, beaucoup de collectionneurs passent par Instagram pour découvrir et acheter des œuvres. Même si les réseaux sociaux ont ouvert le champ des possibles en termes de marché, l’émotion éprouvée devant une photo n’a rien à voir avec ce qu’on peut ressentir face à l’œuvre réelle. » Et quand on leur demande ce qu’on peut leur souhaiter pour les 20 prochaines années, la réponse ne se fait pas attendre : « partager encore et encore nos coups de cœur avec les gens et se laisser surprendre par des œuvres et des artistes incroyables. » Alice Gallery a 20 ans, c’est une jeune fille et, elle a encore tout à vivre !
