
Lors de notre entretien, Jasper Krabbé séjournait au Castellet, en France, une halte hautement inspirante. Mais en réalité, il puise son inspiration partout, pourvu qu’il y ait une histoire et une forme d’intemporalité. Le reste du temps, il partage sa vie entre Amsterdam et l’Atelier Krabbé, vaste studio installé à Zaandam, dont l’histoire se révèle aussi intrigante que l’œuvre de l’artiste.
Comment commence généralement votre journée ?
À l’atelier, elle débute toujours par un café, puis par un rituel presque méditatif qui consiste à aligner soigneusement mes peintures. J’ai besoin de silence autour de moi, car dans ma tête les idées bourdonnent. Il y a toujours de la musique, éclectique mais discrète, en arrière-plan. L’environnement joue aussi un rôle : il m’arrive souvent de flâner dans le jardin de mon ami Piet Oudolf. Ce qu’il parvient à créer avec les couleurs en tant que paysagiste est unique. Une simple promenade là-bas peut bouleverser le fil de ma journée.
Non seulement votre environnement, mais votre atelier lui-même a quelque chose de singulier.
Il est niché dans une ancienne fabrique de munitions à Zaandam, au cœur d’un quartier en pleine mutation. C’est là que s’ouvrira bientôt le ZAMu, le Zaanstad Amsterdam Museum, dont je suis devenu l’ambassadeur. Je suis né et j’ai grandi à Amsterdam, mais un tel espace y est introuvable. Pourtant, la ville n’est qu’à un souffle en bateau… et encore un petit bout à vélo.

Comment l’avez-vous découvert ?
Un jour, mon ami artiste Frederik Molenschot m’y a emmené. Il y a aussi son propre atelier. Le studio servait autrefois de vestiaire pour l’usine. Ce qui m’a frappé, c’est la lumière et la hauteur sous plafond : j’ai su tout de suite que c’était un endroit pour moi. Aujourd’hui, d’autres artistes se sont installés sur le site, ce qui crée une énergie incroyable. Le site est accessible au public, et l’ouverture du ZAMu ne fera qu’amplifier cette effervescence. On peut d’ores et déjà se balader dans le jardin, boire un verre dans un café ou l’autre et manger une pizza dans une sorte d’ancien hangar reconverti.
Vous êtes issu d’une famille qui compte plusieurs générations d’artistes. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Tout a commencé avec mon arrière-grand-père Hendrik Maarten, maître de l’aquarelle et du portrait. Mon grand-père Maarten peignait des jardins colorés et naïfs. Mon père, lui, est un peintre paysagiste, avec un sens extraordinaire des combinaisons de couleurs. Moi, je me sens plus proche du portrait, comme mon arrière-grand-père. Aujourd’hui, ma fille Lotus étudie à l’Académie des beaux-arts d’Anvers, et elle s’en sort très bien. Elle travaille elle aussi avec des matériaux de récupération. C’est un point commun entre nous. On s’échange souvent sur WhatsApp des photos de trouvailles que nous détournons ensuite. Récemment encore, elle m’a envoyé l’image d’un paquet de céréales déchiré sur lequel elle avait travaillé. C’était génial.
Pourquoi ce goût pour les matériaux de récupération ?
Parce qu’ils ouvrent des possibilités infinies. Je préfère démarrer sur quelque chose qui a déjà un passé, cela laisse de la place à l’imagination. Quand j’ai un carnet de croquis neuf, je commence par le tacher de café ou de thé. Un matériau que j’aime particulièrement, ce sont les bâches de coton, les drop cloths, que je commande ou ramène de New York, où je vais régulièrement. Elles sont cousues entre elles, avec des effilochures et des lignes. C’est déjà presque une histoire en soi.

Quand avez-vous su que l’art serait aussi votre voie ?
Ce n’est arrivé qu’à l’âge de 12 ans, quand j’ai découvert le graffiti. J’ai commencé avec les United Street Artists. Au début, nous étions cinq à le faire illégalement, puis nous avons travaillé sur commande. Amsterdam était vraiment en avance sur l’Europe à ce niveau-là. Ensuite, j’ai intégré la Rietveld Academie à Amsterdam et étudié à la Cooper Union à New York. Le graffiti reste présent dans mon travail : dans les matériaux, les sujets, l’usage de la couleur, la spontanéité.
Avez-vous une œuvre que vous ne vendrez jamais ?
Je pensais que oui, mais je l’ai vendue quand même. C’était une estampe dont j’ai découvert par hasard que le verso était plus beau que le recto. Je voulais la garder pour cette raison si particulière, mais un artiste doit aussi vivre. Ça m’a fait un peu mal, mais c’est bon signe. Maintenant, quelqu’un d’autre en profite. L’art doit être partagé. C’est aussi pour cette raison que je travaille sur le livre CLOUDS, un aperçu de mes dessins qui paraîtra à la fin de l’année aux éditions Komma. Ainsi, même ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter mes œuvres pourront malgré tout découvrir mon univers. @Jasperkrabbe
