Le quartier de la Mechelseplein est un haut lieu de la création à Anvers. Le célèbre architecte Vincent Van Duysen y vit dans un hôtel particulier magnifiquement rénové.
À 300 mètres de là, le décorateur Gert Voorjans reçoit ses clients dans son studio moderniste. Et 150 mètres plus loin, l’architecte paysagiste néerlandais Ronald van der Hilst est installé à l’ombre de l’église Sint-Joris. « C’est dans cette église que les tulipes étaient consacrées à l’époque de Rubens, explique-t-il. Ces fleurs étaient un produit de luxe extrêmement coûteux. Une véritable tulipomanie faisait rage. Les variétés les plus chères étaient en fait des tulipes malades, infectées par le virus de la mosaïque. Elles figurent sur d’innombrables natures mortes florales de l’époque. J’ai découvert que ces fleurs étaient déjà connues à Anvers avant de susciter un engouement aux Pays-Bas. C’était une surprise, surtout pour un Néerlandais comme moi. »
Que Ronald van der Hilst soit venu habiter en face de l’église Sint-Joris il y a 30 ans et qu’il soit devenu par la suite un expert en tulipes relève de la coïncidence. Quant à l’opportunité qui lui a été offerte il y a trois ans de concevoir le jardin secret de l’église, c’est un don du ciel. « À côté de l’église se trouve un terrain auquel on ne peut accéder que par le presbytère. Plus personne ne voulait entretenir ce jardin sauvage. La communauté religieuse m’a donc demandé si je voulais m’en charger. Ça ne m’intéressait que si on me laissait carte blanche pour le réaménager. Ma proposition a été acceptée. »
Ronald van der Hilst en a fait un Hortus Conclusus, un « jardin enclos » archétypal, dont le schéma constitue la base de l’art millénaire des jardins. « L’histoire commence en Perse, où on a commencé à clôturer des parcelles de terrain autour des sources d’eau. Ils appelaient ces oasis pairi-daeza, d’où le mot paradis. Les nomades qui traversaient le désert éprouvaient un sentiment incomparable, au bord de l’eau et à l’ombre des plantes odorantes. Au Moyen-Orient, ces petits paradis se sont transformés en jardins islamiques typiques, étagés et constellés de points d’eau et fontaines. En Inde et dans les régions avoisinantes, ce schéma a évolué pour donner naissance aux célèbres jardins moghols, tandis qu’à travers l’Alhambra, dans le sud de l’Espagne, son influence s’est diffusée jusqu’aux jardins des monastères européens », raconte Ronald van der Hilst, tout en nous guidant dans l’Hortus.
« Saviez-vous que l’Hortus Conclusus est même décrit dans la Bible, plus précisément dans le Cantique des cantiques ? L’olivier symbolise la paix. L’eau est source de vie. Et avec leur forme élancée, les cyprès assurent le lien entre le ciel et la terre. Dans mon Hortus Conclusus, j’ai intégré tous ces éléments classiques d’une manière contemporaine. Par exemple, du bassin central part un rail de tram, que j’utilise comme voie d’eau. Ça correspond parfaitement à ce lieu de repos, au beau milieu du paysage urbain. »
La rencontre avec Laura de Coninck
Il y a deux ans, l’architecte de jardin et l’artiste Laura de Coninck se sont rencontrés pour la première fois dans l’Hortus Conclusus d’Anvers. « C’était le printemps et les milliers de tulipes du jardin étaient en fleurs, se souvient Laura de Coninck. Notre promenade dans le jardin m’a fait l’effet d’une véritable explosion de parfums. J’ai senti l’odeur du nectar, mais aussi celle du sureau et de la tulipe, car Ronald a conçu un parterre de tulipes très odorantes. Personne n’associe les tulipes à leur parfum. Pourtant, je le trouve fascinant. J’ai eu envie de créer une fragrance de niche autour de cette fleur. »
« Les tulipes parfumées sont rares. Sur cinq à six mille variétés, seule une cinquantaine présentent un parfum distinct. Les tulipes sont cultivées pour leur apparence, pas pour leur senteur, précise Ronald van der Hilst, avant d’ajouter : Une tulipe odorante porte d’ailleurs mon nom : une variété jaunâtre dotée d’une longue tige, clin d’œil à ma silhouette. On m’a fait ce merveilleux cadeau pour mon 50e anniversaire. »
Une fragrance inspirée du jardin et des tulipes
Lorsque Laura de Coninck a présenté à la maison de parfum parisienne Givaudan son idée de fragrance à base de tulipes, elle s’est d’abord heurtée à l’incompréhension. « Ils n’ont pas vu l’intérêt d’une telle fleur. Mais j’ai cherché dans leur base de données de parfums et j’ai trouvé un échantillon de Tulipa sylvestris, une tulipe merveilleusement parfumée, qui est aussi la variété préférée de Ronald. C’est autour de cette molécule que j’ai commencé à expérimenter dans les laboratoires de Sonia Constant, le nez de Givaudan, pour créer mon propre parfum de niche, explique Laura de Coninck. Hortus Conclusus Tulipa ne sent pas exclusivement la tulipe. Il s’agit plutôt d’une synthèse des odeurs que dégage l’Hortus Conclusus. L’accord olfactif contient de la tulipe, mais aussi de la fleur de sureau, du vétiver, du bois de santal et du safran, autant d’éléments qui restituent l’odeur sèche du pollen de tulipe. »
Le parfum a été présenté en exclusivité mondiale à l’Hortus Conclusus le 27 avril, au moment de la floraison des tulipes. Laura de Coninck, également artiste plasticienne, a participé à la conception du flacon. « La peinture et les couleurs ne me permettent pas de susciter des émotions aussi intenses. Un parfum agit directement sur le subconscient. Il évoque instantanément des souvenirs, et nous catapulte vers certains lieux qui nous ont marqués. »
> Hortus Conclusus Tulipa, disponible à la galerie de Ronald van der Hilst 21, Mechelseplein, 2000 Anvers (BE), sur son site ronaldvanderhilst.com, chez Copyright 28/A, Nationalestraat, 2000 Anvers (BE) et chez Meester in Bloemen 408 hs, Kerkstraat, 1017 JC Amsterdam (NL).